De
1348 à 1350, pendant 3 ans, la
peste noire traverse l'Europe. Les cimetières se remplissent.
D'Italie jusq'en Irelande, 20 millions d'européens
trouvent la mort (ce qui semble être la tranche basse
des estimations), soit près de la moitié de la population
du continent. Est-ce l'avènement de l'Antéchrist ? La
fin du monde ? Parmi les témoins occulaires ayant laissé
leurs témoignages, on trouve
des médecins, des avocats, des musiciens. Suite à cet
épisode, le continent ne plonge pas mais connaitra un renouveau
progressif de l'Europe. Une renaissance.
Au milieu
du XIVè siècle, l'Europe a une
population importante, avec des peuples rafinés, mobiles
et pieux. Les gens se déplacent beaucoup
(marchands, soldats, fonctionnaires, étudiants) entre les villes.
Les cités
et les ports de l'Italie du nord sont parmi les plus riches et animés
d'Europe. Florence a 100.000 habitants et est une place permettant le
commerce entre paysans, marchands et les habitants de la ville.
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Automne
1347, Italie. La maladie est venue par des marins revenant
de la mer Noire, de Crimée, où un comptoir génois
était assailli (voir Le
Quatorzième Siècle). Ils ont la peste dans
leur sang.
Au
début, les citoyens ne prennent pas la portée de
la malalie. Gabriele de Musis
est à Piacenza. Il
relate ainsi l'arrivée de la maladie:
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"quand
un individu est contaminé, il empoisonne et emmène
avec lui les membres de sa famille. Ainsi que ceux qui emportaient
les morts. Les survivants pleuraient leurs proches". |
La peste
provoque une fièvre comparable à la grippe. Sur le cou,
les aisselles et les aines apparaissent des bubons (vésicules
pleines de pus). Des hémorragies internes sous-cutannées
provoquent des taches pourpres et noires. La mort intervient après
1 semaine suite à un engorgement des poumons, engorgement comparable
à une pneumonie.
C'est
Alexandre Yersin qui identifia
la bactérie, le bacille Yersinia pestis, responsable
de la maladie en 1894. Il travaille alors à l'Institut Pasteur.
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En 2 à
3 mois, 20% de la population avait disparu. Les gens étaient
pétrifié, sans idée de remède. De nombreux
médecins vont tenter d'y remédier. Gentile
Da Foligno, médecin chef à l'université
de Pérouse, en est. Il recommande aux personnes atteintes de
manger de la laitue et de se reposer en alternance sur le côté
gauche puis le côté droit afin de conserver la châleur
au foie. Il échout devant la maladie qui l'emporte le 13
juin 1348. La plupart des gens ont alors pour recours leur foi en Dieu
et le secours de l'église.
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Les
gens n'osent plus s'approcher des maisons abritant une personne
contaminée. Les médecins et curés, du moins
les rares osant encore s'acquitter de leur mission, ont peur.
De plus, ils deviennent eux-même vecteurs de la maladie.
Bocace,
auteur italien, est un témoin lucide et fidèle de
l'épidémie.
Familles
et amis se fuient, convaincus que l'apocalypse est proche. La société
est en déliquescence, perturbant les rythmes de la vie médiévale:
les récoltes ne sont plus rentrées, le bétail
laissé à l'abandon. A Sienne, les tribunaux civils
ferment et la construction de la cathédrale est interrompue
(la grande nef ne sera jamais achevée). Les gens meurent
en grand nombre. |
Plus rien
ne fonctionne, on n'enlève plus les corps: l'hygiène la
plus rudimentaire a disparu. Il n'y a pas de production de denrées
alimentaires, on ne cuit plus de pain: c'est la famine.
Le maintien
de l'ordre est impossible
car les prêtres et les représentants des lois sont morts
ou malades ou se barricadent avec leur famille pour tenter de se protéger.
Bientôt, les esprits changent. Persuadés de mourir rapidement,
les gens en profitent pour vivre pleinement, de profiter de ce moment
de vie. Une crise morale atteint la société italienne.
De plus, beaucoup de demeures sont abandonnées. Certaines sont
alors aussitôt investies par ces nouveaux occupants peu scrupuleux.

Printemps-Eté
1348. Les victimes sont de plus en plus nombreuses. 90.000
à Venise, 50% de la population florentine. Il n'y a plus de place
dans les cimetières. On est contraint de creuser de grandes fosses
communes où les cadavres sont entérés.
A Milan,
les maisons abritant des malades sont condamnées, condamnant
du même coup les victimes à leur sort. Les gens sont convaincus
qu'il s'agit là d'une punition divine. Quelle peut en être
la cause ? Les juifs ? On les condamne.
Printemps
1348, sud de la France. La peste a emprunté les routes
commerciales sillonant l'Europe occidentale. Elle est composée
d'un réseau dense de routes, controlées largement par
des italiens. Ceux-ci contribuent alors, par leur fuite, à propager
l'épidémie.
A
Avignon, qui est aussi un
carrefour européen, siège le Pape Clément
VI. Louis Haliguen, musicien
à la cour du Pape, raconte:
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"toute
la province est infectée par cette calamité. On ne
mange plus de poissons venant de la mer et qui pourrait avoir été
contaminé. Il y a des milliers de morts." |
La
peste serait transmise sous forme de miasmes, portés par
le vent, qui montrent la colère de Dieu suite à
la décadence morale.
On
consacre de nouveaux cimetières et le Rhône lui-même
pour pouvoir y jeter des cadavres. 11.000 personnes sont entérées
en 6 semaines, soit 50% de la population de la province. Avignon
devient une ville-fantôme où 7.000 maisons sont inhabitées.
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Apparaissent
les flagellants. Ils composent
un grand mouvement laïc, contestant l'autorité de l'église.
Ils forment des processions de dévôts, larmoyant et
se lamentant, se flagellant de ville en ville. Ils portent une cagoule
ornée d'une croix-rouge sur le front et la nuque, ainsi qu'un
fouet de trois lanières terminées chacune par une
petite lame tranchante ou une petite mpoite métallique. Ils
récitent et chantent des litanieset se fouettent le dos.
Cela évoque la passion de Jésus qui souffre pour le
pêché des hommes. |
Le mouvement
est condamné par l'église car ne disposant pas de clergé
et composé exclusivement de laïcs. Leurs pérégrinations,
de ville en ville, participent aussi à la propagation de la maladie.
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Guy
de Chauliac (1298-1368) devient médecin attitré
du Pape. Les médecins étaient rarement payés
comme leurs patients mourraient, à l'exception de quelques
uns. Aucun remède n'est efficace contre cette maladie.
Chauliac, atteint, se soigne lui-même pendant 6 semaines,
incisant seul ses bubons. Et il survit.
Il
tente alors de comprendre la maladie et réalise des autopsies.
Il voit les poumons engorgés, d'où la preuve des
miasmes dans l'air, envoyés par Dieu. Quand les poumons
sont atteints, la personne n'a plus que 2 jours à vivre.
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Actuellement,
cette épidémie reste encore
un mystère. Peut-être s'agit-il d'une forme
hybride et fatale de la peste bubonique et de la peste hémorragique
? Chauliac comprend alors que la contagion
se fait par transmission par contact direct
et non par la vue d'une personne malade ou du fait de penser à
une victime, ni par des miasmes divins. Il préconise alors au
Pape d'effectuer des saignements, de manger des fruits et légumes
et de purifier l'air par le feu. Clément VI s'enferme alors,
isolé de sa cour et de ses serviteurs, vivant entre deux grands
brasiers. Et survit.
Pendant
ce temps, la peur continue à grandir. On
cherche des bouc-émissaires (étrangers, hérétiques,
juifs): ils sont la cause de la colère de Dieu, outragé
de ne pas être reconnu. Les juifs arrêtés à
Narbonne et à Carcassone, sont brulés. Des prévôts
sont nommés pour appliquer les sentences: à Villeneuve,
tous les juifs périssent sur le bûcher. Dans
beaucoup de villes, les juifs furent éliminés avant même
l'apparition de la peste, permettant ainsi aux notables de n'avoir à
rembourser leurs créanciers.
Fin du
printemps 1348. Haliguen avertit ses amis du nord de la France de se
protéger de ce fléau. Il meurt en juillet 1348.
Eté
1348: la peste traverse la Manche et atteint les ports
de Southamppton, Plymouth et Brighton.
En
Angleterre, au XIIIè siècle, la population a augmenté,
ainsi que les surfaces cultivées. Le pays est composé
à 95% par une population rurale. Les gens disposent de
petits lopins de terre qu'ils louent. Leur existence est difficile,
leurs revenus maigres.
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Mai
1349, Angleterre. De nombreuses personnes meurent. Les fermages
sont alors transmis aux survivants affligés. Ceci a deux conséquences:
la diminution de la population et l'augmentation de la surface cultivée
pour chaque survivant ou épargné. De nombreux seigneurs
disparaissent, ainsi que des artisans, des marchands, des commercants
et des domestiques. L'Angleterre perd de 40 à 50% de sa population.
Des villages perdent jusqu'à 80% de leurs habitants. Suite aux
décès des journaliers, le travail aux champs devient difficile:
ils restent en friches. Au désespoir des gens s'ajoutent les
difficultés à vivre.
Les terres
abandonnées sont confiées au village dans l'attente de
trouver des preneurs. Ceux qui survivent s'enrichissent car les paysans
sont devenus rares: ils demandent plus d'argent et des loyers plus bas.
Ils n'hésitent pas à partir pour gagner jusqu'à
3 à 4 fois plus.
La classe
dominante est menacée car la société est bouleversée:
l'ordre social anglais est menacé. La peste noire permet alors,
et c'est l'une des conséquences, un progrès de la société.


Automne
1350. L'épidémie décline enfin sur le
continent. Mais elle arrive en Irelande. Le frère John
Kleen mentionne ce qu'il observe et laisse des pages blanches
pour que quelqu'un puisse les compléter. Ce ne sera pas le cas.
Les personnes
se sont adaptées à la peste noire. Bien que de retour
à peu près tous les 10 ans, on assiste à un retour
à la joie de vivre, qui s'exprime dans les arts dont la peinture
et la poésie.
Ils ont
appris à vivre avec cette menace. Se développe le genre
macabre telle cette femme accompagnée par un squelette, montrant
que la mort n'est qu'une compagne de tous les jours. Ce thème
est souvent repris dans les églises anglaises. La mort est inévitable,
mais il y a l'extase de la ressurection.
Des personnes
choisissent de partir vers les villes: on y manque de marchands, d'artisans.
Apparaissent de nouvelles lois permettant de se marier avec des personnes
habitants d'autres seigneureries et sans avoir à en demander
l'autorisation à son seigneur. Les migrations sont facilitées.
La grève
des paysans, vers 1380, donne naissance à un monde moderne. L'Age
d'or de la paysannerie anglaise a lieu au XVè siècle,
avec la disparition progressive du servage.
Données issues d'un reportage
diffusé sur France 2 (juin 2005)
